Tuesday, May 2, 2006

Filiation, Transmission, Répétition : l’historique dans Hamlet et Les Séquestrés d’Altona

Tous ces termes impliquent l’ordre : un ordre chronologique entre point A et point B, entre l’originale et puis la copie, entre la cause et puis l’effet, entre celui qui lance et alors celui qui attrape. Dans cet ordre, le point d’origine tient le pouvoir sur le point destinataire. Le père a le pouvoir sur le fils, dieu sur l’homme, le fondateur sur la variation, l’histoire sur le présent, etcetera. En gros, la cause gouverne l’effet. Cet ordre est seulement l’ordre accepté – celui de la logique et de l’histoire, les deux faits que le monde ne conteste pas.

La filiation suppose l’ordre parental, où les parents règnent sur les enfants dans une position supérieure du pouvoir et de la chronologie. La transmission aussi présume un transfert entre deux. Dans l’ordre de qui transmet à qui, l’originaire a la position première. Celui qui est au côté de l’histoire prend toujours le pouvoir dans cette logique des dispositions. Pareille avec la répétition, l’acte qui consiste des multiples occurrences d’une seule chose, la première occurrence est vue comme cause et modèle des autres, l’originaire catalytique.

Cependant, cet ordre n’est plus suivi dans les diégèses d’Hamlet et Les Séquestrés d’Altona. La hiérarchie acceptée est détruite quand les rôles familiaux s’inversent, la transmission à l’héritier est interrompue, et la répétition se fait simultanément non pas chronologiquement. Tout délégitime le mouvement chronique accepté. C’est l’habitude historique qui détermine ce qui est accepté, l’ordre inclus. Suivre l’ordre accepté c’est simplement obéir l’histoire en la répétant au présent. Mais en conséquence les deux pièces examinées ici ont des relations tendues avec l’histoire. Dans Hamlet, il s’agit d’un présent hanté par un passé récent problématique, et aussi d’un âge renaissant en rébellion contre celui d’avant. Les Séquestrés d’Altona prend comme thème dirigeant la relation troublante avec l’histoire ; pas seulement celle de l’Allemagne nazi mais aussi celle du père lâche. Les pièces donc se mettent à se rompre avec l’histoire par briser l’ordre accepté. Il est ainsi que les thèmes de la filiation refusée, la transmission rompue, et la répétition simultanée destructrice forment les idées d’appui dans chaque pièce.


La filiation parentale est l’aspect commun le plus évident dans les deux narratifs. Le terme filiation ici signifie le lien entre les parents et leurs enfants. Le but d’Hamlet fils c’est de venger le meurtre du père par tuer le beau-père. Dans Les Séquestrés d’Altona, il s’agit du Père qui essaie de revoir son fils. Cependant, la parenté dans ces deux familles est mise en question. Les fils ne croient pas dans l’ordre hiérarchique et donc questionnent le rôle du père.
Frantz soupçonne que le Père n’a pas raison et ne tient plus la révérence pour le parent qui l’en mérite normalement. Frantz tient coupable le Père, lorsque dans l’ordre accepté de la filiation, c’est le père qui doit accuser le fils. C’est ainsi que le père apprend à son fils la discipline et la responsabilité. L’ordre filiatif s’inverse dans la maison de von Gerlach. Comme le père ne tient pas coupable le fils, le fils tient coupable à la fois le père et lui-même. Quand le Père et Frantz se réunissent dans le dernier acte, c’est le Père qui se sent le coupable : « Je te demande pardon » il supplie à son fils (V, i). Frantz règne sur la maison : ses portraits sont accrochés aux murs, sa chambre est en haut de tous, et toute l’action se fait pour lui. Normalement le père, étant de la génération d’avant, signifie l’histoire et en conséquence est, dans l’ordre, le plus puissant. Pourtant, dans Les Séquestrés d’Altona c’est Frantz, le fils, qui se fait signifier l’histoire et ainsi prend le pouvoir.

Hamlet aussi a des relations antagonistes envers la filiation et son ordre accepté de pouvoir. Évidemment Hamlet ne reconnaît pas le rôle paternel de Claudius, le beau-père dont il est jaloux. Mais, même avec son propre père, il ne réussit pas parfaitement dans son rôle du fils. C’est cette relation ambiguë avec Hamlet roi qui est le plus signifiante. Hamlet n’a plus de père natal, mais ses relations avec Hamlet roi sont, selon les intentions d’Hamlet fils, celles de l’obéissance filiale. L’intrigue de la pièce consiste en Hamlet fils essayant d’agir sur les commandes de son père – essayant de jouer le rôle du fils dans l’ordre accepté. Au début il doute la fiabilité du spectre, ne le croyant pas celui de son père. C’est seulement après sa présentation de The Mousetrap qu’il se sent sûr que le spectre était vraiment celui de son père et racontait la vérité. Au premier rencontre (I, iv) Hamlet reconnaît le spectre comme père, en l’appelant ainsi, même après un premier doute sur s’il est charitable ou malveillant : « I’ll call thee Hamlet, / King, father, royal Dane. » Cependant, une fois qu’il est tout seul il doute l’identité du spectre. À la fin du soliloque de l’acte II, scène ii, il décide de monter une pièce pour avoir une preuve ; « The spirit that I have seen / May be a devil » il dit. Cette hésitation, quoiqu’un effet de l’âge de doute, expose sa méfiance du père et de l’ordre ancien qu’il impose. Aussi, ça lui prend quand même toute la pièce pour venger son meurtre, un temps diégétique d’au moins plusieurs semaines. La durée entre la reconnaissance du meurtrier et l’acte de vengeance et beaucoup trop longue par rapport à celle qui concerne Laërte, qui joue le rôle du fils idéal. Laërte attaque Hamlet, le meurtrier de son père, le moment qu’il le voit à l’enterrement d’Ophélie (la première fois qu’il le voit depuis le meurtre) et lui faire lui proposer un DUEL plus tard le jour même. Hamlet rejette l’ordre de la filiation en questionnant pas seulement le rôle du père en Claudius, mais son propre rôle du fils par rapport aux exigences d’Hamlet roi.

Refuser l’autorité du père, c’est refuser la puissance de celui d’avant. C’est refuser donc l’autorité de l’histoire. Les fils sont les deux en avant de leur époque. Hamlet incarne l’homme moderne – c’est pour ça qu’il reçoit autant de couverture des critiques modernes. Il fait partie de la renaissance : il est l’homme du doute et de la logique ; il tient un crâne comme philosophe moderne, et rejette la peur de la mort eue par ses prédécesseurs. Frantz aussi se lance dans le futur, s’adressant aux habitants du trentième siècle, les crabes, avec qui il s’identifie. Seul Frantz (selon lui) accepte la responsabilité pour le passé et donc peut le transcender.

Autre manière de comprendre le terme filiation est comme filiation d’événements historiques, ceux qui se suivent comme un fils le père. La filiation d’événements peut s’appliquer à l’ordre accepté d’une chronologie familiale. Par exemple, un fils qui prendra l’entreprise de son père fait partie de cet enchaînement. Il s’agit une chronologie future projetée par la famille, acceptée depuis longtemps. Cependant, comme la filiation familiale pourrie, la filiation d’événements prend le chemin contraire à celui que l’on attend. Voilà le destin tragique théâtral, dont le défilé d’événements est aussi inattendu qu’il est incontournable. Hamlet, malgré son destin filial d’être roi, suit la filiation tragique par mourir le moment qu’il venge la mort de son père. Pareil dans Les Séquestrés d’Altona, le destin pour Frantz d’être héritier est dominé par le destin tragique d’une double suicide l’heure que le rencontre attendu arrive. Une fois que le but de la pièce s’achève, les personnages concernés s’achèvent. Quoiqu’elles fassent partie de l’héritage théâtral des tragédies classiques, la pièce de Shakespeare et celle de Sartre respectent les aspects formels pour en faire un contenu autre. Ici encore il y a un questionnement du parentage, la relation entre ces pièces et leurs prédécesseurs qui est seulement jouée.


La filiation implique une transmission – une transmission de sang, du nom, d’héritage, et de la connaissance. Mais, comme les filiations sont mises en question, les transmissions sont interrompues. Hamlet ne reçoit pas son royaume. Frantz ne dirige pas l’Entreprise. La transmission ne se fait plus dans l’ordre hiérarchique et chronologique du destin, dans l’axe x du mouvement temporel. Au lieu de suivre ce chemin habituel, si naturel que la force de gravité, la transmission se fait à côté et à la diagonale, étant déplacée par les obstacles du temps. Le royaume de Danemark, au lieu d’être transmis dans l’axe x d’Hamlet roi à Hamlet fils, il prend l’axe y pour être transmis à son égal, le frère. Ainsi, l’historique n’avance pas, la ligne destinataire de l’axe x est interrompue par ce déplacement d’équivalent. Similairement dans Les Sequestrés, l’Entreprise est transmise à Werner, le fils cadet, frère du destinataire. Encore, un mouvement latéral qui déplace le destin de l’histoire. La transmission ne suit plus la filiation, ni familiale, ni historique.


La répétition est à la fois la source de l’ordre accepté et l’aspect qui la détruit. La répétition du passé au présent est la définition de l’ordre. La tradition, par exemple, n’est qu’une répétition du passé ; les actes qui se font si souvent à travers le temps perdent leur fonctionnement et deviennent seulement des gestes. C’est l’ordre traditionnel qui règne et la tradition contre laquelle les fils se battent. Malgré le désir de contredire la tradition et de ne pas répéter le passé, une répétition se fait. Vu que la filiation délégitimée empêche la transmission directe, une répétition familiale devrait être hors des possibilités. Mais justement, c’est dans la répétition parfaite, qui s’achève malgré les irrespects de l’ordre, que le destin tragique apparaît. Mais cette répétition, comme le fils hors de son temps et la transmission chronologique rompue, aussi dépasse la chronologique. La notion de l’originale et puis les copies n’applique plus. La répétition, comme la transmission, a lieu sur l’axe y, dans la simultanéité. Ainsi, la copie et l’originale s’engloutissent, changent de position, chaque répétition devient l’originale de tous les autres, et le dédoublement de signification fait une polysémie règne.

La répétition apparaît dans les pièces sur plusieurs niveaux. Le plus classique c’est la répétition du passé dans le destin du fils par rapport au père. Hamlet, l’opposé de son père dans ses actions précautionnées, se trouve dans la position finale de son père : mort sous les bras (les complots) de Claudius. Cette répétition de mort est chronologique comme le fils s’appelle Hamlet parce que son père s’est appelé ainsi avant. Cependant, la scène finale d’Hamlet contient des répétitions latérales synchroniques. En même temps qu’Hamlet venge la mort de son père, ses répétitions aussi prennent leur vengeance. Laërte est le double latéral d’Hamlet comme Claudius en est un d’Hamlet roi ; il est le beau-frère potentiel (frère d’Ophélie) comme Claudius est frère. Dans la dernière scène Hamlet utilise le mot « frère » deux fois pour parler de Laërte : « hurt my brother » et « brother’s wager » (V, ii). Le frère manifeste la répétition atemporelle ; quoiqu’il y en ait un qui est venu avant l’autre (l’aîné), il n’y a pas de relation causale comme celle d’entre père et fils. Les frères existent comme répétitions simultanés. Il est ainsi que Laërte blesse Hamlet et Hamlet blesse Claudius dans l’espace d’une page. Fortinbras aussi venge la mort de son père, une répétition de plus, en conquérant Danemark ; c’était Hamlet roi qui a tué Fortinbras père : « our valiant Hamlet…Did slay this Fortinbras » (I, i). Ainsi, les trois jeunes hommes se répètent comme des frères et la répétition latérale prend plus d’importance que la répétition filiale.

La mort de Frantz implose même plus la notion de la répétition temporelle. Il aussi partage le destin de la mort avec le Père. Mais les morts von Gerlach illustrent comment la répétition fait annuler l’ordre accepté chronologique. Ils se suicident simultanément, ce qui fait une répétition coïncidente d’événements. Ainsi, le fils ne répète pas le destin du père, ni le père le destin du fils. Chez von Gerlach, l’originale et le double s’annulent. Frantz suspecte qu’il ne se répète pas normalement dans son père : « je ne sais plus trop qui de nous deux a fait l’autre. … Il m’a créé à son image – à moins qu’il ne soit devenu l’image de ce qu’il créait » (II, v). Il renverse la chronologie de création et de répétition, suggérant que le fils a peut-être fait le père, la copie l’originale, la création son créateur.

Comme la voix de Frantz et sa reproduction sur le magnétophone, la répétition parfaite implique une répétition du soi, ce qui est une fragmentation simultanée polysémique plus qu’une répétition temporelle. Hamlet fils se fragmente en plusieurs personnages : Laërte, Fortinbras, Hamlet roi, le fils, le fou, le meurtrier, et l’acteur. Cette pluri-signification de son personnage ne tient pas à l’ordre temporel ; comme la métaphore, elle est hors du défilé du temps. Quoique Hamlet se présente différemment entre une scène à l’autre, changeant avec le temps, il est toujours toutes ces parties. Frantz aussi se répète en plusieurs morceaux qui s’achèvent simultanément : il est le fils préféré, le soldat mort, l’objet du désir, l’image du Père, l’image de Werner, l’avocat, l’accusé, le témoin, l’Allemagne (la France), le crabe, et la bande enregistrée. Les répétitions du soi sont les plus multiples et les plus significatives. Il s’agit d’une expansion dans tous directions qui fait exister des nombreuses notions dans un seul sujet.


Une relation troublée avec l’histoire gouverne le fonctionnement de tous ces termes – filiation, transmission, et répétition. La filiation dans Hamlet et Les Séquestrés d’Altona implique le fils qui repousse les prédécesseurs, niant l’histoire. La transmission ne se fait plus dans le chemin filial, le chemin hiérarchique, mais dans un sens latéral qui empêche la transmission temporelle. La répétition, similaire à la transmission, ne se manifeste pas dans la chronologie avec l’original et la copie, mais dans la simultanéité atemporelle et achronique. Différente que la transmission, la répétition n’arrête pas l’histoire. Elle reste fixement plurielle avec le passage du temps, faisant exister le passé et le présent en même temps dans la même forme. La répétition troublée n’est pas simplement une négation de l’histoire comme les autres. C’est la répétition et le dédoublement qui font signifier hors de la notion de l’ordre et qui forment la richesse polysémique des textes.

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