Thursday, March 30, 2006

Duplication et difference: le dualisme cartesien chez Hamlet

Hamlet de William Shakespeare V, i, 158-194: “How long will a man lie i’th’ earth ere he rot?” jusqu’à “And smelt so? Pah!”


« Alas, poor Yorick » - HAMLET

La scène du fossoyeur, une des plus connues d’Hamlet, occasionne l’image célèbre d’Hamlet fils tenant le crâne de Yorick, réfléchissant sur la nature de la mort et de la vie. Cette scène illustre attire l’attention justement sur l’idée d’une dichotomie, montrée physiquement à travers l’image d’Hamlet en face de la mort, son regard fixé aux orbites vide du crâne. On voit là-dedans une répétition de forme (le crâne humain) et une différence de contenu (le crâne d’Hamlet, plein et vivant à l’opposé de celui de Yorick, vide et mort). L’idée de duplication et de différence vue dans cette image s’étend à la scène entière, et l’implication d’un dualisme corps-esprit, présenté par un basculement de contenu dans une forme fixe, s’étend à toute la pièce.

Le crâne identifiable, l’objet central, fonctionne comme synecdoque vis-à-vis du personnage de Yorick, le bouffon de la cour ; sa présence donc amène d’humour, des jeux de mots, et de franchise aux paroles des autres. De la même façon, la scène dont il fait partie illustre un grand thème de la pièce – la compréhension et acceptation de la mort. Même si elle est en aparté stylistiquement, elle fonctionne comme une synecdoque pour la totalité.

Intervenant juste après la mort d’Ophélie et juste avant son enterrement, cette scène a lieu au cimetière, local signifiant, donné que, en plus, le bain de sang final (où Gertrude, Claudius, Laërtes, et Hamlet lui-même meurent) vient dans la prochaine scène. Malgré - ou plutôt - à cause de la solennité du lieu et du point dans l’intrigue, l’humour se présente clairement comme la principale caractéristique de forme du langage. Cette scène fonctionne à la base comme relief comique typiquement placé avant ou après les scènes de mort chez Shakespeare (voir Porter de Macbeth, Fool de King Lear). Au début de l’extrait, Hamlet est déjà entré sur scène et a commencé à discuter d’abord avec Horatio et après avec le fossoyeur le sujet de la mort. Il essaie d’imaginer et légèrement raconter les histoires de chaque os et crâne lancé par le fossoyeur. La légèreté linguistique continue à travers toute la scène, jusqu’au moment où le cadavre d’Ophélie arrive, ses réflexions sur la mort deviennent physiquement insupportables, et il bat Laërte.

Quoique la forme humoristique de l’extrait, par contre, le contenu des paroles est le plus grave : le sujet est celui de la mort et, plus précisément, comment concevoir la mort corporelle chez les proches. La conversation entre Hamlet et le fossoyeur sur le procédé scientifique de la pourriture est du moins morbide dans sa précision et devient problématique quand Hamlet se rend compte que le crâne est celui de Yorick, le bouffon aimé de son enfance (un annonciateur du corps mort d’Ophélie). L’alternance entre parlant des corps comme cadavres et d’en parlant comme personnes souligne le thème du dualisme cartésien qui trouble tout l’extrait.

L’humour dirigeant de cette scène ne fonctionne pas seulement comme caractéristique formel, mais aussi comme le seul moyen possible de comprendre la mort et unir les contraires cartésiens. Il se manifeste en parole dans la forme d’ironie. Ironie, un aspect d’humour, implique un dédoublement de contenu dans une forme pareille. Cette duplication linguistique mène le spectateur à la vraie problématique, le dualisme du corps et l’esprit coincé dans un seul récipient humain. Écrit dans la naissance de l’âge de la raison, Shakespeare et ses personnages se trouvent troublés au cœur par la séparation entre le corps et l’esprit. Dans Hamlet, c’est la parole qui facilite l’acceptation des deux côtés - la mort avec la vie - en les prononçant avec l’humour, l’ironie, ou, tout simplement, avec des mots justes qui dirigent eux-mêmes le mouvement vers l’unification du dualisme.


L’humour dans cette scène n’existe qu’en relation avec la mort, et la mort n’est traitée qu’avec humour et familiarité presque vulgaire. Le sujet du monologue d’Hamlet est le bouffon mort. Le fossoyeur, l’homme le plus proche des morts est un joyeux luron, dont l’humour trahit la solennité de son travail. Hamlet, amateur de jeux de mots, n’arrête pas non plus ses habitudes en face des crânes.

De même, le fossoyeur se présente comme un bouffon dès ses premiers mots. Ses paroles sont caractérisées par l’utilisation de contresens ou l’utilisation d’un mot pour un autre, un mal à propos du langage. Tout d’abord, ça fait rire. Le mot remplacé paraît ridicule parce qu’il corrompt le sens de la phrase, sens que les spectateurs devinent facilement en replaçant eux-mêmes le mot exact.

Mais à la deuxième examination, le rire en question n’est plus un rire absurde qui se balance dans le vide du sens, mais un rire révélateur qui expose la présence d’un sens caché. Comme le bouffon de la cour qui a l’autorisation de critiquer le roi et l’empire à travers la comédie, on considère le clown le plus honnête. Les blagues et les jeux de mots apportent une véracité qui se confirme dans le rire.

Si on regarde les premiers mots du fossoyeur on trouve déjà une richesse de parole, qui continue dans le passage sur Yorick. Il demande: « Is she to be buried in a Christian burial, when she wilfully seeks her own salvation? » (V, i, 1). Salvation est le contresens ici, puisqu’ils parlent de la mort possiblement suicidaire d’Ophélie (un acte de vouloir, « wilfully » commit). On entend l’écho du mot exact damnation dans son homéotéleute salvation, mais on ne rejette pas complètement ce dernier comme erreur de prononciation. Justement, Ophélie se trouve dans la vie dans une espèce d’enfer ; déjà damnée elle ne peut que se sauver. Cette phrase peut rappeler le soliloque du troisième acte quand Hamlet évoque la problématique qui existe entre la difficulté de la vie qui est « the heart-ache and the thousand natural shocks that flesh is heir to » et l’inconnue de la mort où « what dreams may come…must give us pause » (III, i, 62, 66-68).

Avec telles réflexions, on voit clairement que la parole du bouffon, dès le début, importe plus de signifiance qu’une simple antiphrase. Dans ses blagues, on voit l’association des contraires, une association qui est presque incompréhensible mais qui forme tout l’univers. L’humour, régulièrement défini par l’acte de mettre ensemble deux idées ou images contraires avec une facilité de langage, n’est pas seulement la caractéristique principale de la scène, mais la clé d’accepter la mort et surmonter le dualisme.

L’ironie, un aspect de l’humour sert à concrètement lier les deux côtés – le vivant et le mort, l’esprit et le corps - à travers le langage en forme d’homonymie et polysémie. L’utilisation des homonymes et des quiproquos est fréquente dans la pièce. Polonius et Hamlet sont les plus coutumiers de cette façon de parler, bien qu’Hamlet joue ces jeux de signification avec presque tous ceux qu’il rencontre (II, ii). Cette sorte d’échange se produit entre lui et le fossoyeur. Tous les deux jouent à travers leur dialogue sur quelques mots clés de la pièce : lie, rot et hide. Ce sont tous des verbes ou noms applicables à la fois au corps (ici, le cadavre) et à l’esprit (pourri qui ment et dissimule) dans leurs deux significations.

Hamlet se rend compte que le fossoyeur présente plus qu’un humour avec ses mots. Quand l’ironie de ses homonymes et le contresens de sa rhétorique arrive à Hamlet, il avertit Horatio : « We must speak by the card or equivocation will undo us » (V, i, 133-134). Déjà Hamlet donne le pouvoir à la parole, disant que s’ils se trompent du mot, ils ne seront pas seulement perdus, mais undone : défaits, annulés. Hamlet met en place l’importance fatale de la précision des mots. C’est cette même imprécision que le fossoyeur utilise pour s’amuser qui pourrisse Danemark et afflige la cour royale.

L’ironie du prononcé et le quiproquo de l’entendu se présentent dans la dialogue entre Hamlet et le fossoyeur, un échange à la fois comique et signifiant. Hamlet, toujours pensant à son père récemment mort et si rapidement oublié, commence par demander au fossoyeur, « How long will a man lie i’th’earth ere he rot ? » suggérant le lien entre la pourriture corporelle de l’individu avec la détérioration mnémonique du peuple. Hamlet lui demande : Combien de temps peut-on s’en souvenir avant de l’oublier ? Ici, il fait référence voilée à son père, le signifié de « a man ».

En même temps, comme toujours, Hamlet parle de Claudius aussi, son faux père, qui devient le deuxième signifié de « a man ». Le génie de Shakespeare et de son personnage principal réside dans le fait de constamment faire référence à plusieurs signifiés avec un seul signifiant. Hamlet lui demande également : Combien de temps peut-il mentir et tricher avant qu’il ne puisse plus, avant qu’il se perde totalement, avant qu’il ne soit plus humain? La réponse du fossoyeur éclaircie ce deuxième signifié (Claudius) : « Faith, if a be not rotten before a die », comme s’il répondait lui aussi en faisant référence à Claudius, lui qui est pourri et vivant. Cette réponse, qui souligne un signifié plus éloigné de l’interprétation littérale, correspond avec l’implication d’Hamlet (qu’il critique son faux père) et les mots clés de la pièce. On entend toujours l’écho résonnant de « Something is rotten in the state of Denmark » et la répétition de cette image de pudeur dans la confession de Claudius, « O, my offence is rank, it smells to heaven » (I, iv, 90 ; III, iii, 36).

Ici, la possibilité d’être pourri avant la mort peut être interprété dans deux sens : un sens corporel et un sens moral. Mais à la fin du dialogue, on revient à la première signification, purement physique. Le fossoyeur précise qu’il parle des « pocky corses » qui étaient déjà pourris d’une maladie fatale. Ce basculement de signification du matériel vers le spirituel ou mental qui revient à la fin au corporel se répète tout au long de l’extrait.

Dans la discussion sur le tanneur, on devine encore trois significations différentes pour le mot hide: la peau d’animal, la peau du fossoyeur, et la dissimulation. On prend le mot au début (c’est-à-dire avant que le fossoyeur finisse la phrase) pour la peau d’animal avec lequel il travaille. Quand on se rend compte qu’il parle de la peau du tanneur lui-même, on ne comprend pas seulement l’ironie d’un deuxième referant, mais aussi une banalisation du corps humain, typique de cette scène («pocky corses » « whoreson dead body » [V, i, 160,166]). En traitant le corps vivant (qui est à priori lié avec l’âme) comme un hide tanné d’une bête « that wants discourse of reason », on renforce une fois de plus le thème du schisme de soi en peau et pensée (I, ii, 150). En même temps, en réfléchissant sur ce mot déjà attribué plusieurs signifiés, on comprend le signifié dissimulation. Encore une fois, à la fin du dialogue, on est convaincu que les signifiés corporels sont plus justes à la lettre. L’association des cadavres avec une corruption morale est le rapprochement des signifiances corporelles et spirituelles. Exprimé par des actes de tricher et de dissimuler en addition au fait d’être pourri, ce rapport fait référence à l’intention d’Hamlet de venger son père par le meurtre de Claudius, le roi pourri, et annonce aussi la chute de tout le pourri royaume de Danemark.

Le dédoublement du contenu corporel et moral trouvé dans ces mots individus à travers l’ironie parallèle exactement la nature du pourrissement de Danemark. La cour et les citoyens sont, comme Hamlet avertit, undone par equivocation. Leurs mots n’ont plus de sens juste ou clair, puisque derrière eux se ramassent des mensonges et des intentions mauvaises. Leurs actions ne sont pas en accord avec leurs intentions ; leurs corps pas en accord avec leurs esprits.


La répétition des doubles et désaccords visuel et linguistique amène le spectateur au cœur de la problématique métaphysique d’Hamlet, personnage et pièce : le désaccord entre l’esprit et le corps, l’intention première de l’action et l’interprétation qui en est faite. Elle trouble tout le Danemark, un peuple fasciné par l’image, influencé par les beaux discours, gouverné par un roi illégitime en qui ils ont confiance (II, ii, 359-362). Elle trouble du même la cour royale, de haut en bas. Le Roi Hamlet souffre cette disjonction cartésienne le plus, totalement disjoint de son corps, il n’est qu’un esprit qui ne peut rien faire sans un issue corporel (trouvé en Hamlet fils, son propre sang). Claudius qui s’est imposé roi et s’exprime comme un roi, n’a pas le sang proprement royal (étant le benjamin) : son corps dénonce sa position aperçue par le peuple. En mariant Claudius, Gertrude a trahi la mémoire émotionnelle de son mari pour les plaisirs du corps (« To post with such dexterity to incestuous sheets ! » [I, ii, 156-157]). Et, Hamlet fils, coincé entre la conscience d’être le roi légitime et la condition physique de ne pas l’être, exprime constamment la lutte physique-mentale en lui.

Mis dans une position similaire à celle de son père, où il sait que son corps n’a pas le pouvoir qui lui est dû, prince dans un cours où les actions faites sont voilées par les mensonges prononcés, il est ainsi très conscient de la division entre l’action et l’intention, la forme et le contenu. C’est précisément cette conscience qui lui donne la capacité de paraître fou, mais seulement quand il en a besoin pour achever ses intentions ; « I am but mad north-north-west » il explique (II, ii, 374). Quand Polonius lui demande ce qu’il lit, il répond avec encore une conscience de la relation perturbée de forme-contenu : « Words, words, words » (II, ii, 192). Cette réponse est une indication claire qu’il voit un lien cassé entre le signifiant (the word), l’état physique, et le signifié (the matter), l’état projeté. Dans ce pays, il n’assume pas que les mots qu’il lit (ni ceux qu’il entend) correspondent clairement aux signifiés qu’on y suppose liés. Plus tard, il nomme précisément le désaccord en ses propres mots. Il se dit : « My tongue and soul in this be hypocrites », se préparant à parler avec sa mère, à un moment où ses actions et ses intentions se décalent (III, ii, 388). Avec son vocabulaire et sa rhétorique Hamlet met ensemble les deux côtés du dilemme : le décalage (ou hypocrisie) corps-esprit et celui de action-intention (prononciation étant action). La langue, métonymie pour le corps, oppose l’esprit ; l’âme, métaphore pour l’intention, oppose la parole.

Quoiqu’il est conscient de ce dualisme, ce n’est que dans le moment où il parle des choses à côté quand il peut mettre les deux ensemble dans la même manière dont il les a séparés : son langage, son vocabulaire, ses mots. Après le premier acte, Hamlet essaie de se faire passer pour un fou avec sa parole mystérieuse ; cependant, la parole moins forcée chez lui est plus révélatrice. Dans la répétition sonore qui se produit en prononçant cette problématique sans la poésie des soliloques, Hamlet, avec ses interlocuteurs, explore la conscience et l’unification de la dualité présentée à travers les répétitions formelles involontaires. Au lieu d’avoir un mot divisible en multiples idées contraires ci-dessus, ici on a l’inverse : multiples mots contraires synthétisés dans une seule idée.

Dans cet extrait, c’est le fossoyeur qui introduit l’acte de lier deux contenus opposés par leurs formes similaires. Le fossoyeur lui dit : « This same skull, sir, was Yorick’s skull, the King’s jester » (V, i, 174-175). Une phrase qui a l’air élémentaire en contenu – simplement la réponse à la question, C’est à qui ? - est en forme complexe et significative. L’allitération de la consonne s associe les quatre noms adressés : this same skull (signifiant celui qu’il tient), sir (Hamlet, l‘adressé), Yorick’s skull (le crâne qui était au corps d’un particulier), King’s jester (le Yorick vivant, le particulier). Séparée que par des virgules, chaque partie de la phrase a une relation avec toutes les autres. Alors, ce n’est pas seulement les multiples formes de Yorick qui sont liées ici, mais de même Hamlet lui-même (« sir ») devient double de Yorick vivant et mort.

La difficulté d’associer l’image d’un crâne vide avec la mémoire d’un bouffon jovial est amoindrie (ou au moins adressée) par une association lexicale. C’est surtout la répétition de skull entre « this same skull » et « Yorick’s skull » qui produit le connexion incontestable entre le corps et l’esprit du bouffon, en reliant les modifiants de skull : this same et Yorick’s. En plus, l’expression « Yorick’s skull » (cette révélation étant le point culminant de l’extrait) incarne parfaitement l’unification de l’esprit et le corps. On comprend à la fois une signification du contenu et de la forme. L’attribution d’un prénom au crâne connecte des actes d’un vivant aux restes d’un mort, en lui donnant un contenu. La prononciation de « Yorick’s skull » révèle un chiasme sonore k – s – s – k entre les deux mots, un trait formel à la base. Mais le chiasme affirme le contenu de la phrase, l’idée de duplication et de différence, caractérisant l’image d’Hamlet tenant le crâne. On retrouve le k – s du vivant dans le s – k du mort ; ils contiennent la même matière mise dans des formes différentes. Le rapprochement formel des signifiants livre donc un rapprochement des signifiés dans les oreilles et les esprits des personnages et, de plus, aux spectateurs.

Dans son monologue sur Yorick, qui vient juste après, Hamlet explore la possibilité que ces deux côtés soient attachés à travers la forme et le contenu. En prononçant ce problème, lui aussi, comme le fossoyeur, crée un ensemble cohérent du contenu en rapprochant les formes des dualités en question. Hamlet utilise un vocabulaire qui comporte deux ordres – le mentale et le corporel – en parlant de ces deux côtés de Yorick. Il décrit d’abord l’esprit vif de Yorick : « a fellow of infinite jest, of most excellent fancy » (V, i, 178-179). Jest et fancy sont des mots de l’imaginaire et infinite est de l’immatériel, définissant le vocabulaire de l’esprit. Ensuite Hamlet se souvient de ses actions : « He hath bore me on his back a thousand times » (V, i, 179-180). Ici le vocabulaire, comme l’action décrite, est corporel en bore et back, alors que a thousand times est un mot de précision matérielle (à l’opposé d’infinite). Sa réaction aux deux sorts de souvenirs se manifeste dans le rapprochement formel des vocabulaires : « …and now – how abhorred in my imagination it is. My gorge rises at it » (V, i, 180-181). En utilisant imagination Hamlet reprend le vocabulaire de l’esprit de Yorick (imagination étant un synonyme de fancy), en même temps que sa réaction s ‘étend hors de la réflexion quand il commence à avoir des nausées, et le vocabulaire du corps et action paraître (gorge, rises) en y pensant.

Les mots se ressemblent davantage quand on considère les retours de sonorité. La répétition du son « or », qui se présente tout au long de la première moitié du monologue, sert à connecter les vocabulaires opposés et donc les idées inverses. « Alas, poor Yorick » Hamlet commence, établissant déjà le sujet et la sonorité qui vont casser la dualité en incluant les deux côtés dans une seule phrase (V, i, 178). « Bore », « abhorred », et « gorge » font tous écho sonore à cette première phrase, mais basculent entre vocabulaires corporel et mentale. Bore et gorge, les mots physiques, entourent abhorred, le mot de l’esprit, reprenant le modèle déjà établi d’un balancement vers la signifiance mentale avant de revenir finalement au corporel. Avec le rapport sonore entre eux, construit par l’assonance, leur prononciation, l’un après l’autre, se fait plus facilement. Dans l’acte de prononcer les signifiants facilement vient l’idée que les signifiés peuvent se mettre ensemble.

Après cette première moitié du monologue sur la possibilité d’un lien entre le crâne et Yorick où il se souvient du Yorick vivant, Hamlet continue avec la deuxième moitié ayant accepté le fait que Yorick est actuellement un crâne. Hamlet donc associe Yorick vivant et le crâne formellement pas seulement avec son vocabulaire, mais avec sa rhétorique en les plaçant dans le même monologue. En cette transition entre parlant de Yorick comme vivant et puis comme mort, Hamlet ne perd pas son affection primaire pour le bouffon. Le moment où il commence à parler à Yorick directement en deuxième personne, il renonce la séparation corps-esprit, parlant au crâne comme s’il avait toujours une âme. Cependant, ce n’est qu’avec de l’humour, de l’ironie, et des jeux de mots qu’il puisse accomplir ce succès. Hamlet demande au crâne : « Not one now to mock your own grinning ? Quite chop-fallen ? » (V, i, 185-186). Il joue avec les phrases qui s’appliquent à la fois aux vivants tristes et aux crânes pleine de dents mais sans mâchoires. Avec son sens d’humour, il peut attribuer une âme là où il n’a jamais pensé la voir. Il attribue même des actes au crâne de Yorick : il lui demande d’aller jouer le rôle du crâne qui apparaît à la toilette d’une femme, comme dans une danse macabre . En cette suggestion, il lie la personnalité et le métier de Yorick avec son crâne ; parce que Yorick pouvait faire rire les gens quand il était vivant, son crâne aussi donc doit avoir cette capacité. Cette légère acceptation de l’idée qui lui faisait mal avant continue jusqu’à la fin de l’extrait quand en y réfléchissant il imagine la pudeur d’Alexandre lui-même, montrant son succès de lier la vie et la mort ainsi que l’importance de l’humour jusqu’à la fin.


À la fin de cet extrait et de même de la pièce, Hamlet accepte finalement d’être une partie de la répétition des formes : à travers sa parole révélatrice et ses clowneries signifiantes, il joue le rôle du lien entre les dualités cartésiennes. Il compense le corps absent du feu roi légitime en lui vengeant et l’esprit déficient de la cour actuelle en tournant son regard vers elle-même. Il joue le fou, corps et esprit séparés, parole et signifiance divorcés ; il accepte ses ordres d’un spectre et parle sans sens. Il est le seul en Danemark qui voit l’ignorance des deux côtés problématique et la confronte.

Face au crâne, Hamlet se trouve doublé en Yorick, vivant et mort. Le fossoyeur, clown fiable, les a lié déjà en les appelant mad tous les deux, Hamlet et Yorick, plusieurs fois la scène : « young Hamlet…he that is mad », « …because a was mad », « …as mad as he » et puis « a whoreson mad fellow’s [the skull] was », « a mad rogue ! » (V, i, 144, 146, 150 ; 170, 173). Madness, normalement défini par un schisme entre l’esprit d’affligé et la réalité physique autour de lui, est donc un décalage corps-esprit.

Cependant, dans une cour si pourrie que celle d’Hamlet, la réalité perçue est voilée par mille couches des mensonges, des mots, et des jeux. Il insiste au début de la pièce qu’il ne connaît pas la semblance, seulement l’existence, lorsque tous les autres ne connaissent que cette première. En disant « Seems, madam ? Nay, it is. I know not ‘seems’ » Hamlet indique la franchise initiale de ses actions (I, ii, 76). Tôt dans la pièce, il se rend compte du fait que personne va lui comprendre s’il se présente franchement, donné que leur compréhension de réalité est entachée par l’ascension injuste de Claudius à la position du roi, une séparation totale de l’état physique (la vraie histoire du meurtre) et l’état mental (l’histoire qu’ils en croient). En croyant que Claudius est le roi juste, le royaume perd complètement leur notion de réalité. N’ayant pas d’autre moyen de communiquer avec les gens si décalés, Hamlet se décale lui-même, commençant dans le deuxième acte à jouer sur ce désaccord pour accomplir ses buts.

À travers son comportement du fou, il retourne le miroir vers la cour pour les montrer comment ils sont . Seulement en répétant leur condition de décalage complet peut-il sortir de son propre dualisme.
Ce dualisme se manifeste en Hamlet dans la peur de la mort et la crainte de l’action. Cependant, après la scène du fossoyeur, il a eu l’occasion d’y réfléchir et de l’accepter. Aidé par l’humour du fossoyeur et la mémoire de Yorick, mort mais pas oublié, Hamlet est prêt à surmonter ses craintes et aplatir sa dualité. Hamlet oublie cette dualité imposée par l’intellect et montre son acceptation d’elle par l’action intentionnelle et l’affrontement de la mort. Dans l’acte final, quand il s’agit de sa vengeance et son royaume, Hamlet, ayant résolu le dualisme en lui-même, le ressoude définitivement pour tout le royaume qui en a souffert.

Il accepte la possibilité d’avoir deux composants au même moment, admettant qu’on est tous homonymes polysémiques. On se trouve, à la fois, duplications des formes et possesseurs des multiples contenus différents et parfois contraires, incluant un corps et un esprit, une capacité d’agir et une de penser. À la fin de la pièce, Hamlet est finalement prêt à accueillir son nom et son contenu dualiste en répétant l’action finale de son père homonyme, celui de mourir.

2 comments:

Anonymous said...

Oui, probablement il est donc

Alexa Garvoille said...

Il est quoi, alors?